• (Cartes - Le voyage)

    Un aileron se cabre. L'avion vire, pointe de l'extrémité de son aile la ville en-dessous. C'est une tâche grisâtre informe, comme l'encre d'un test de Rorschach dénué de symétrie, cette idée t'amuse, tu te demandes ce que tu voies dans cette tâche, un trou noir, une matrice, un visage, puis l'avion reprend son équilibre, amorce la descente, vire à nouveau, et tu réalises que ce que tu voyais n'était pas la ville, à peine un petit faubourg de rien de tout, la ville tu l'aperçois au loin, des éclats de lumières disséminés palpitent à perte de vue, et là c'est plutôt une galaxie tordue, un vague corps gazeux parcouru d'électrons virevoltants, tu te dis en souriant que tu devrais aller voir un psy, puis tu t'imagines tomber, tu te crispes sur ton siège, tu te demandes s'il y a des psys dans ce pays, c'est absurde, pourquoi n'y en aurait-il pas, mais après tout pourquoi y en aurait-il (n'y a-t-il pas suffisamment de gens inutiles), tu t'imagines déjà malade, tu t'imagines te soigner de mixtures infâmes à base de viscères de reptiles inconnus et d'insectes en poudre, tu en arrives à souhaiter que l'avion s'écrase sur quelque centre commercial bondé, ce n'est pas quelques Chinois de moins, et toi personne n'en saura rien, tout juste - peut-être - un fonctionnaire du consulat notera-t-il ton nom sur une liste à destination d'un fonctionnaire du ministère des Affaires Etrangères.  L'avion amorce la descente, tu fermes les yeux, la gravité se dérègle doucement, tu y seras bientôt, dans la matrice, la lumière ne s'enfuit déjà plus du fond de tes paupières, tu te sens mieux, un peu de paracétamol une fois arrivé suffira, tu n'aimes pas les virages, c'est tout.

     


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