• In bed with Albert

    In bed with Albert

    (Giacometti / Cartier-Bresson)

     

    Je traverse toujours au passage piéton. Je suis dans les clous, comme les clous sont dans Jésus. J'ai quelque chose de christique, d'ailleurs. Les mains qui piquent. Une tête pleine d'épines. Ou juste une date de naissance absurde.
    Je marche sous la pluie, comme sur la photo, mais ce n'est pas moi, ni sur la photo, ni là. Il ne pleut pas. Connerie de canicule.
    Pas une voiture pour me rentrer dedans. Juste du plomb qui pleut. Mourir m'ennuie, je n'en ai pas envie, pas maintenant, mais alors que faire.
    Traverser.

    Le chien, tête basse. L'échine courbée par tout ce plomb. Voilà des siècles que je marche, j'étais là bien avant l'enclouté. Mais les guerres sont finies et c'en est terminé de l'héroïsme. Les pions restent des pions, ils avancent sur l'échiquier au ralenti, puis se font manger, anonymes. Aucun d'entre eux n'arrive à dame. La gloire n'est pas pour eux. Ils marchent et ils meurent, point. Elle est où, ma dignité, il est où mon orgueil, où se planquent-ils ? Je suis un rat. Je devrais gueuler, hurler à la mort, maudire l'humanité. Remplir les cimetières. Mais il n'y a que cette diagonale, le fou est déchu depuis si longtemps, je la connais par cœur, je l'ai tant arpenté, sans espoir d'en sortir, sans espoir de grâce royale, en silence. Je devrais gueuler, mais à quoi bon couper des têtes. La révolte n'est pas pour aujourd'hui. Aucune fierté.

    Jetons-nous dans le fleuve. L'homme qui marche est fatigué. Ensemble tout devient possible. Trop tard pour apprendre à nager. Une ligne dans le journal. Je veux une guerre. Je veux 1793. Je veux savoir pourquoi j'ai peur. La tête en cendres, le cul en feu, le ventre qui se tord, rester digne, ne pas vomir. Se serrer, se serrer très fort. Au revoir et l'ascenseur. Ne pas hurler, ne pas maudire. Juste partir. Marcher. Ne pas tomber. Faire illusion encore un peu. Et ne pas faire la moindre ligne. Oublier les envies de génocides. Etre honnête, et piteux, et dérisoire. "Ah, cruelle est l'Histoire qui toujours recommence / Et rappelle aux mémoires les perdants magnifiques !". Magnifique mon cul.
    L'homme qui marche est fatigué. L'eau est fraiche à la fontaine. Il voudrait s'arrêter. Attendre sereinement. Et enfin dormir.
    Femme debout II boit le café.

     

     

    In bed with Albert

    Alberto Giacometti, Le chien


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