• Les Kouriles (3 et 4)

    3/  (où notre choupinet a l’air tout tristounet et où l'on reconnait parmi les multiples travers de l’auteur de cette œuvre périssable une tendance à un tantinet de grandiloquence, vous lui pardonnerez).

    C'est comme si un chat m'avait amené à elle. Un voyage chaotique depuis des années, un itinéraire fait de compromis entre ma volonté et celle des chats, et finalement, un dernier chat plus malicieux que les autres m'a laissé désemparé devant elle, que l'imagination ne peut pas imaginer, le paysage inconnu qui contient tous les paysages, et qui est dans tous les paysages. Elle était partout et tout le temps. Elle était ce qui se cachait derrière, elle était tous ces lieux étranges qui peuplaient mes rêves d'enfant. Et j'allais voir.

    Mais je me suis perdu. Comment ne pas se perdre quand son image est partout... Aucun lieu ne se distingue des autres, aucune seconde n'est différente des autres, il n'y a qu’elle, partout, tout le temps, le passé et le futur envahis, comment pouvais-je ne pas me perdre... Je suis redevenu un enfant, le mystère reprenait sa place et le réel s'estompait à son tour, plus rien n'était réel, tout était fait de son image. Je vivais au passé et au futur. Le présent ne servait à rien. Plus rien ne servait à rien, et je n'étais moi-même qu'une inutile machine à rêver que j'étais incapable d'arrêter. L'aurais-je voulu, dans un moment de lucidité ou de découragement c'est selon, que je n'y serais pas arrivé.

    Le seul moyen d'y parvenir peut-être, c'était de changer de temps et d'espace, radicalement. Je suis parti aux Kouriles, cet endroit ascète qui me fascinait depuis longtemps, où n'existe que le présent. Avec les pêcheurs russes, avec la vieille aux betteraves, avec le vent glacial et les terres désolées, avec la mer qui emprisonne, avec les maisons qui grincent, j'ai appris à ne plus rêver. Le vent de Sarytchevo hérissait ma peau et endormait mon esprit, et cela me convenait. A vrai dire, j'ai même pensé y passer mes derniers jours, usé par la vodka, avec une moustache grisonnante et un mégot rabougri en dessous, oublié de tous et ayant oublié tout le monde. On est quitte me serais-je dit.

     

    4/ Il n'y a pas de chats sur Sarytchevo. Pourtant, un jour de tempête, j'ai été saisi d'une curiosité étrange. Sous la pluie battante, j'ai marché droit vers la petite colline qui surplombe le village. Arrivé au sommet, j'ai continué sur l'autre versant. Je marchais au hasard, guidé par un chat invisible. Je connaissais déjà ces endroits, mais dans la lumière d'orage sous le ciel noir, déformés par la pluie et le vent, ils n'avaient plus le même aspect. Ce n'était plus Sarytchevo. J'étais ailleurs, mais où ? Je me rapprochais des éclairs, et le vacarme du tonnerre couvrait régulièrement les sifflements lugubres du vent. Au loin, un détail inhabituel attira mon regard, une forme géométrique immobile qui contrastait avec le chaos de la tempête. Le chat me disait d'aller voir.

    J'ai marché longtemps. L'herbe fit place à une étendue caillouteuse, toute proche de l'océan. Je trébuchais plusieurs fois. Puis, derrière un rocher, j'apercevais enfin plus précisément ce que le chat voulait me montrer. Une petite croix en fer, débordant de rouille, se dressait timidement sur une stèle en pierre. On devinait des inscriptions gravées dessus, mais les caractères en étaient illisibles, effacés par le vent. Sur le côté, il y avait une petite porte en bois, vermoulue. Je l'ouvrais. Un extraordinaire coup de tonnerre retentit, mais il ne me fit pas sursauter. Je n'entendais que le grincement des charnières, à qui l'on n'avait pas demandé tel effort depuis des décennies sans doute, des siècles peut-être. Un éclair illumina furtivement l'intérieur.

    (Quel suspense hein)

     

    Nb : petite note en bas de page pour les chafouins avec un seul f férus de géographie qui l’auraient remarqué : l’île de Sarytchevo n’existe pas. Seulement trouvera-t-on de ce nom un volcan, sur une île inhabitée des Kouriles. Remarquons toutefois que notre ami (admettons que ce soit notre ami) a lu ce nom sur une carte à priori ancienne, et l’aura probablement mal interprétée (il n'est vraisemblablement pas très malin). Remarquons aussi que rien ne nous dit que toute cette petite histoire ne se passe pas uniquement dans sa tête, à notre ami. Bah, est-ce vraiment important... Remarquons enfin que l’auteur qui niera devant la Sainte Inquisition toute référence autobiographique n’a pas d’autres recours que de se moquer un peu de lui-même pour faire passer la pilule.

    (...There's a boy leaning against the wall of rain calling come on thunder, come on thunder...)


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