•  

    La pêche a été bonne. Il démarre le moteur. Rejoint la rive et amarre le canot. Il vide les poissons, les nettoie dans l'eau de la Sosva. Jette les viscères au chien. Il attache le panier en bandoulière et se met en marche. La maison est un peu plus loin, en lisière de forêt. Il parle au chien.

     

     

     Voilà bientôt six mois qu'on l'a prié de quitter son poste. Ce jour-là, de retour chez lui, il n'a rien dit. Quand il s'est couché, à peine a-t-elle remarqué son air préoccupé, mais ce n'était pas inhabituel, il avait toujours l'air dans la lune, et elle n'y a pas vraiment prêté  attention. Il n'a pas pu dormir. Qu'allait-il devenir. Qu'allait-il faire. Il ne cessait d'imaginer les scénarii possibles. Aucun n'avait d'issue.

    Sauf à quitter Moscou. Il lui laissera l'appartement. Elle n'aura pas de problèmes d'argent.

     

     

    Il prit un billet d'avion pour Igrim. A Khanty-Mansiysk, en attendant la correspondance, il acheta une bouteille de bon vin pour Vzdorov. Il lui avait demandé s'il pouvait lui trouver une maison en forêt, un abri de chasseur, une vieille datcha branlante, n'importe quoi pourvu qu'il n'y ait personne à cinq kilomètres à la ronde. Et Vzdorov lui avait dégoté ça. Ca et un canot à moteur datant de l'époque soviétique pour s'y rendre. Vzdorov l'avait prévenu : c'est du côté d'Aneeva... il n'y a toujours pas de route vers l'ouest... deux heures de cabotage sur la Sosva, et de la rive encore un quart d'heure de marche. Parfait, avait-il répondu. Vzdorov l'attendait à l'aéroport. Ils partiraient le lendemain.

     

     

    Pourquoi ne pas vivre ici

    Tout est là

    Que te manque-t-il

    Pauvre

    Et joyeuse vie

    Un lieu

    C'est un lieu qui te manque

    Un sentier

    Une fillette y trottine

    Elle chantonne

    Et entame le quignon du pain

    Qu'elle ramène à la maison

     

     

    Cela faisait huit ans qu'il n'était pas revenu à Igrim. Huit ans qu'il n'avait pas revu Vzdorov. C'était pour l'enterrement de sa mère. Comme alors, il est resté dormir chez Vzdorov. Comme alors ils se soulèrent. Comme alors ils prirent des nouvelles des mêmes anciens, des mêmes filles qu'ils avaient connues étant jeunes, évoquèrent les mêmes souvenirs de fêtes et de beuveries, comme s'il ne s'était rien passé en huit ans.

     

     

    C'est une erreur de calcul qui lui coûta sa place. Une erreur de calcul comme il n'en arrive plus depuis longtemps. L'accélération gravitationnelle autour de Jupiter avait bien emmené la sonde vers Saturne, mais sur une trajectoire légèrement élargie par rapport à ce qui était prévu. L'activation des moteurs n'a pas permis de la ramener dans le droit chemin, et quand elle est arrivée au voisinage de Saturne, elle en était trop éloignée pour que le rebond soit suffisant. La sonde dériva et se perdit dans l'infini. C'en était terminé de la mission vers Uranus. Qui était responsable de l'erreur n'avait pas d'importance. Il fit partie de ceux que l'on pria d'aller voir ailleurs.

    Une putain d'erreur de calcul.

     

     

    Il faisait jour quand il s'est réveillé. Il s'est aspergé d'eau froide, a tenté de faire disparaitre l'image de l'appartement de ses parents qui persistait dans son esprit et ce goût âpre et  visqueux dans sa bouche. Dans son rêve il jouait avec Vzdorov dans les couloirs de l'immeuble. L'immeuble n'existe plus. Ses parents non plus. Vzdorov, lui, est indéboulonnable. Vzdorov est comme l'icône qui ornait la table de chevet et qu'un enfant farfouilleur retrouve des années plus tard dans une malle oubliée au grenier, le bois du cadre un peu abimé mais les yeux sévères aux proportions exagérées du saint toujours grand ouverts. C'est la sève des vieux arbres aux longues et solides racines qui coule dans les veines de Vzdorov. Son visage se burine mais son opiniâtreté rustique résiste au temps.

    Il s'est regardé dans le petit miroir suspendu à un crochet rouillé au dessus du lavabo, n'a vu qu'un type torché la veille. Il entendait Vzdorov qui chargeait les canots de tout ce qu’il savait être nécessaire là-bas. Enfant il récitait sa prière sous le regard intimidant de Saint Vladimir. L'icône ne répondait jamais. Vzdorov agissait. Inutile de prier.

     

     

     

     

     

     

    L'hiver sibérien approche. Les réserves de poisson ne suffiront pas. Il démarre le moteur et met le cap sur Igrim. Au magasin central il fait le plein de conserves, et achète quelques outils dont il n'avait jamais eu besoin à Moscou. Passe devant un rayon d'articles pour animaux, hésite, se dit que le chien s'était toujours débrouillé sans lui jusque-là, renonce en pensant qu'ils partagent déjà.

    Au bureau de poste il laisse une lettre à sa femme, lui indiquant qu'il ne repassera pas à Igrim avant plusieurs mois à cause de l'hiver, lui demandant de s'adresser à Vzdorov qui saura le trouver en cas d'urgence, lui disant qu'il pense à elle, ce qui est vrai, lui disant qu'elle lui manque, ce dont il n'est pas sûr, ce qui est à la fois vrai et faux - mais que peut-il dire d'autre. Une seule fois il reçut une lettre d'elle en poste restante, elle demandait des explications, il s'était efforcé de lui en fournir même s'il n'y en avait pas, tout au plus n'y avait-il que des aveux de faiblesse. Il est triste de ne pas avoir reçu d'autre mot d'elle depuis, ne lui en veut pas - comme s'il pouvait lui en vouloir, qui est coupable si ce n'est toi ? - puis il s'imagine des choses. Se trouve injuste et lâche.

    Avant de sortir du bureau de poste il jette un coup d'œil à un exemplaire de l'Izvestia daté d'il y a quelques jours qui traine sur une table, il parcourt les titres de une mécaniquement, aucune des nouvelles ne l'intéresse, jusqu'à ce qu'il lise un encart en bas de page, un petit ricanement incrédule s'échappe alors de ses lèvres : le cargo spatial Progress en perdition se dirige vers la Terre.

     

     

    Nul ne sait ce qu'il s'est réellement passé. La liaison avec Progress-M 27M avait été perdue quelques secondes avant sa séparation du lanceur. Une fuite dans un réservoir, une improbable collision, une défaillance du lanceur, toutes les hypothèses paraissaient absurdes. Les matériaux étaient contrôlés et recontrôlés, les calculs de trajectoire étaient vérifiés des dizaines de fois, des batteries d'ordinateurs et de cerveaux n'avaient rien décelé d'anormal.

    La liaison n'a pu être rétablie, le vaisseau n'a pas trouvé son orbite. Livré à lui-même, bien trop près de la Terre pour échapper à la gravité, il chutait.

     

     

     

     

    Tout est là

    Alors pourquoi ne pas mourir ici

    Où tes pas t’ont mené

    Parce qu'il n'y a pas de sentier

    Où trottine la fillette

    Qui ramène le pain

    Joyeuse

    Familière

    Et d'il y a si longtemps

    Mange ton quignon !

    Trottine et chantonne !

     

     

     

    De retour sur le canot encombré de ses achats, le monotone paysage de la Sosva embrumée défile doucement, et ses pensées sont tantôt comme amarrées aux rives  du fleuve, tantôt vagabondent au loin. Si seulement ces connards pouvaient se le prendre sur la gueule. D'abord il sourit. Puisse cette merde tomber dans le cul à Poutine. Puis il s'en veut. Ce n'est pas qu'il culpabilise, qu'il craindrait un châtiment divin pour avoir imaginé un carnage à l'Agence Spatiale, non, ça il s'en fout. Il s'en veut d'avoir lu ce journal. Il aurait préféré ne pas s'encombrer l'esprit avec ces conneries.  Il s'efforce d'en chasser l'image de ce cargo. Après tout, qu'il tombe n'importe où, je m'en branle.

     

     

    La nuit aussi tombe. Il s'allonge sur l'herbe, devant la maison. Contemple les étoiles. Il aime sentir la Terre sous lui, la sentir presque tourner. Il se laisse absorber, ne veut faire qu'un avec elle, qu'un avec le ciel noir piqué de scintillements. Il ferme les yeux, sort de son corps, l'abandonne à la terre maternelle, concentre le temps et l'espace en un seul point fondamental.

     

     

    De sa chambre d'enfant à Igrim il contemplait les étoiles. Sa mère lui parlait de planètes lointaines, de voie lactée, de constellations aux noms fabuleux. Elle lui disait "regarde", le faisait monter sur une chaise qu'elle avait approché de la fenêtre et ils se penchaient alors, elle le retenait d'un bras et de l'autre dessinait la Grande Ourse au bout de son index tendu vers le ciel de Sibérie, "tu vois ?", il ne voyait rien, sûrement pas une ourse en tout cas, il ne voyait rien d'autre que sa mère qui le tenait et le ciel qui le fascinait, sa mère qui le retenait et le ciel qui l'aspirait. 

     

     

    Il revient à lui, la faute à la vision de Progress-M 27M en train de se casser la gueule quelque part au milieu de tout ça qui s'est immiscée dans sa tête, tous ses efforts pour ne penser à rien vains, réduits à néant, toutes les connexions organiques entre son corps et l'univers sectionnées. Il relève le dos, s'appuie sur ses avant-bras, regarde le ciel, déchiffre instinctivement la géométrie de la Grande Ourse. Il voudrait rester là, et sait qu'il n'en fera rien. Il commence à avoir froid. La Terre tourne toujours sous lui. Il va à nouveau lui falloir lutter contre la gravité.

     

     

    Tout n’est-il pas là ?

    Est-ce un temps qui te manque ?

    Un temps figé sur un bout de sentier

    Pourquoi ne pas trottiner ici

    Pourquoi ne pas chantonner encore ?

     

    Un point lumineux à l'horizon, qui grossit. Il se rapproche, suivi d'abord d'un sifflement aigu, puis d'un fracas de détonations, d'explosions, de crépitements, de crissements métalliques de tôles froissées, déchirées. Un cargo spatial russe qui s'écrase au cœur de la Sibérie Occidentale. Des débris sur des centaines de kilomètres carrés. Un type écrabouillé. On se demandera qui est ce type qui vivait là, isolé, loin de tout. On finira par découvrir que c'est un ancien de l'Agence Spatiale. On lira dans tous les journaux des titres involontairement ironiques avec le mot destin. On abandonnera là ce chien qui hurle à la mort.

     

     

    Vzdorov  lit le journal sans entrain, machinalement. Il ne comprend pas ce qu'il se passe en Ukraine, à vrai dire il s'en fout. Les résultats du championnat il s'en fout aussi. Il se demande pourquoi il achète encore l'Izvestia. Mais que faire d'autre, à Igrim ? En page intérieure, une simple dépêche attire son attention. Le cargo spatial Progress-M 27M s'est écrasé au large du Chili. Il pense à son ami, sourit en se disant que d'autres aussi se sont plantés dans leurs calculs. Il ne comprend toujours pas cette histoire d'erreur de calcul. Que son ami ait pu faire une erreur de calcul, son ami qui l'aidait pour ses devoirs de maths, qui avait fait de longues études à Moscou, lui paraissait hautement improbable. Pas plus qu'il ne comprenait quel naufrage l'avait ramené ici, alors que lui se serait parfois bien imaginer mener une vie facile à la capitale. Vzdorov avait arrêté l'école à quatorze ans et n'avait jamais quitté Igrim depuis.

    Sont-ils amis qui ne se sont vus de huit ans et sont si dissemblables ?... Il parait réfléchir un instant...

    Puis il fourre le journal dans sa poche arrière, remplit un sac à dos de bouteilles de vodka et de vin, complète avec quelques goloubtsy. L'hiver approche. Il est temps d'aller rendre visite à cet hurluberlu. Son ami.

     

     

    Vzdorov chantonne, démarre le canot et prend la direction d'Aneeva.

     

     


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  • Ici rien de rien. Il pleut. Rien de ce qui arrive n’arrive vraiment. Dans la tanière l’animal attend. Angoissé la mort. Qui sait un miracle. Tout ce qui n’arrive jamais arrive parfois. La tanière prend l’eau. Personne pour écoper. Quelques pages qui surnagent. De l’encre dilué. Des odeurs en décomposition. Des bouteilles adolescentes fuguent. Des globes s’enfuient du monde.

    Des appareils inutiles restent.

    L’animal flouté. La vue brouillée. Trop de flotte. Trop de 15 ans. Des tourbillons tourbés. Qui aspirent. Des diables virevoltent. Des tiraillements dans l’échine. Courbé. Des voix dans le dos. Sourdes. Des douleurs imaginaires. Des piranhas repus de moelle. Quelques dieux qui complotent. De la fièvre, de la sueur, du sel. Des draps sales. La mer viciée.

    Des promesses qui s’envolent. Perdues.

    Des bruits de torrent. Le tumulte des chutes. Le boucan blanc d’écume. La peur de l’enfer. Puis le calme plat. Le lac de la victoire. La mer d’encre. Le temps suspendu au plafond. Un rimailleur qui pleure, encore. L’horrible paradis. La marine qui débarque. Enfin. Avec tout son barda. Son joyeux tintamarre. Son assurance tranquille. Son expérience des catastrophes.

     


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  • De quel côté êtes-vous.

    Si vous n'êtes pas du mien, alors acceptez sans broncher ce froid qui finira par faire du verre de vos os, et ces putains de courants d'air qui vous colleront des bronchites à répétition - et il vous faudra travailler quand même. Acceptez donc la chaleur inouïe quand les fours s'ouvrent, cette chaleur orange vif qui gifle le visage et des larmes s'échappent, et vous vous plantez devant tellement vous aviez froid l'instant d'avant, et il faut travailler quand même.  Acceptez le vacarme permanent, vous l'entendrez encore en rentrant chez vous, acceptez la peur de prendre sur le casque un bout de ferraille tombé du toit d'où chient les pigeons, acceptez cette poussière qui est partout et qui partout en vous s'immisce, vous n'êtes déjà que poussière bien avant la tombe, et travaillez, suez, tremblez, prenez-en plein la gueule, et espérez, espérez tenir encore debout à la retraite. Si vous n'êtes pas de mon côté, voulez-vous que je vous pousse, voulez-vous que je vous pousse dans l'acier liquide, vous ne sentirez presque rien, vous serez vaporisé, vos molécules seront séparées et se recombineront aux mailles cristallographiques du fer, vous ne serez plus rien, plus rien que des milliards de milliards d'impuretés disséminées au milieu des arborescences dendritiques et l'on sera obligé par votre faute de rebuter la coulée, on donnera à votre famille un petit cube que l'on aura prélevé sur le lingot, un petit cube, mais lourd et dense, et sur lequel on aura marqué votre nom au poinçon et deux dates en-dessous, il n'y aura pas de cendre, simplement partout dans ce cube quelques-uns de vos atomes, on oubliera longtemps le lingot rebuté au fond d'une halle ouverte aux quatre vents, mais n'ayez crainte un jour il sera recyclé - vous vous en seriez voulu d'avoir à ce point plombé la productivité sans contrepartie n'est-ce pas - et vous redeviendrez liquide, avant de solidifier à nouveau, et vous vous retrouverez dans la coque d'un navire, dans les câbles d'un pont suspendu, dans une canette de soda, sur la poutre d'une tour absurde dressée au milieu d'un désert ou d'un village olympique, vous serez dans n'importe quelle merde en acier, vous serez partout et nulle part, vous servirez enfin, peut-être, à quelque chose,  et plus probablement à rien, alors, voulez-vous que je vous pousse ?

    Je suis comme vous au chaud dans mon bureau, et pourtant j'ai envie de vous pousser. Peut-être des centrales vont exploser, des câbles vont rompre et des ponts vont tomber parce que je n'aurais pas fait mon travail correctement, et pourtant je n'y serais pas pour grand-chose, vous n'aviez qu'à faire attention et ne pas tomber.

     

    La file des camions à l'entrée de l'usine s'allonge. Les barrières restent abaissées. La viande cuit joyeusement sur une grille sale. Un laquais donne les noms des grévistes à l'huissier appelé à la rescousse par la direction, qui les note dans un cahier A4. 

    Je lui épelle le mien. La bataille est perdue d'avance.

     

    Je rentre en voiture. Il n'y a pas que moi là-dedans. N'oubliez jamais ça. N'oubliez pas que dans vos bagnoles, dans vos centrales, dans vos ponts, dans vos ordinateurs, dans vos immeubles et dans vos casseroles et partout ailleurs, il y a la sueur et le sang, il y a les atomes de ceux tombés dans le four avant vous.

     

     

     

     

     


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  • Je traversais tranquillement dans les clous en marchant sur les mains. Une Clio bleu azur à l’envers, suspendue au bitume, m’avait dans le collimateur. Elle m’a mis en joue, et a réussi à me rentrer dedans sans grande difficulté. Une cible facile. Un double salto et demi plus tard, j’étais à l’endroit. Nelson Monfort avait beau s’égosiller, le juge bulgare avait dû estimer qu’il n’y avait pas de quoi en faire un yahourt et m’a collé un 2 en note artistique. Enculé. Ah, les Balkans ! Sofia ! Mon esprit vagabondait, et aussitôt me revinrent en mémoire les tristes souvenirs de l’histoire de fesses que j’avais eu avec la Loren, un jour, du côté d’Hagondange, de Thionville ou de Longwy, je ne sais plus, je me rappelle simplement que c’était à l’ombre d’une cheminée en brique qui expirait les fumées des usines qui expiraient alentour. Il faut toujours qu’il y ait un Bulgare quelque part pour me rappeler mes déceptions passées ; et je ressassais, et je ruminais, et je revoyais Sophia nue dans ma tête, Sophia qui n’avait rien dit, rien exprimé avec aucune des nombreuses parties qui composaient son corps, rien, pas un signe de plaisir, même ténu, durant les huit secondes qu’avait duré notre étreinte, pas un soupir de contentement durant toute cette éternité ; à moins que ce ne fut le vacarme des laminoirs qui eut accaparé mes sens et gâché cet illégitime moment de convivialité sous le ciel bas et lourd de particules fuligineuses hautement cancérigènes.
    Depuis je traine un acouphène en do mineur un peu monotone et je marche sur les mains, repoussant le ciel qui toujours s’écrase sur moi par de peu gracieux, j’en conviens, moulinets de jambes. C’est épuisant.


    Well... well Circulus, wh-wh-what a treMENdous disappointment for you I can imagine, how can you exPLAIN that… well… that bulgarian judge… how is it POssible… you don’t deserve a TWO, do you Circulus ?
    C’est bon Nelson, calme-toi, tu peux le faire en français.
    Oui, pardonnez-moi Circulus... Circulus, je suppose que ce doit être pour vous une terrible déception, co-co-co-comment expliquer ce, ce, ce deux, est-ce possible, ce deux de la part du juge bulgare, vous ne méritez pas cela Circulus, je ne crois pas me tromper en disant que toute l’équipe de France Télévisions s’associe à moi pour dire que non, vraiment, vous ne méritez pas ça, n’est-ce pas Patrick ?
    Et la France entière, Nelson, vous pouvez dire à Circulus : la France entière !
    Euh.
    Oui, Circulus, Patrick me dit que c’est la France entière qui est scandalisée par la décision de ce juge slovaque et...
    Bulgare, Nelson, bulgare le juge, précisait Patrick dans l’oreillette.
    Oui bulgare, pardonnez ma confusion, tant d’injustice, tant de cruauté, je ne sais pas, je ne sais plus...
    Fais comme l’oiseau.
    Et cetera, et cetera.


    Nelson m’a pris au mot, il s’est envolé. La France entière m’adorait, me plaignait et me maudissait en même temps. Au quai d’Orsay, la diplomatie bulgare s’activait pour éviter la guerre. Le gouvernement slovaque n’était guère plus rassuré. Le 24ième régiment de choupinets était en alerte maximum. Le Charles-De-Gaulle appareillait pour le mer Noire toutes voiles dehors (les réacteurs nucléaires étaient à la maintenance).
    J’étais à nouveau sur mes deux pieds, le ciel était bleu azur, et haut, très haut au-dessus de tout ça. Il semblait en avoir fini de vouloir me tomber sur le coin de la gueule en permanence.
    J’entrepris de finir de traverser. La Clio azur était garée là, devant la poissonnerie. On allait sûrement faire un constat. Je me suis dit que ça n’allait pas être simple d’y faire tenir toute cette histoire. Et qu’allait penser l’assurance ? Les clés étaient sur le tableau de bord, il n’y avait personne à l’intérieur, et la poissonnière était occupée à aiguiser ses espadons. J’ai démarré. Le compteur indiquait 15000 kilomètres, j'en ai ajouté cinq pour rentrer et enfin terminer ma grille de sudoku. Il ne restait qu’une case vierge, mais aucun chiffre ne convenait.
    Il serait plus sage de tout recommencer à zéro.
    Dans le frigo, des yahourts se rapprochaient doucement de la date fatidique.
    J’allais me les faire.

     


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  • Peut-être de l’or. De la lumière qu'il faudra rendre. De la ferraille qui vole. Des courroies qui lâchent. De la ferraille encore. Des artères qui s’encrassent. Des machines qui s’essoufflent. Des années qui passent. Des gens qui s’arrêtent. Des insuffisances cardiaques. Des reins pas si solides. Quelqu’un qui fait la vaisselle. Du vin. Des cérémonies silencieuses, des urnes funéraires. Des monstres d’acier. Des pieds d’argile. Des familles ici. Des familles ailleurs. Des qui ferment leur gueule. Du sang sur les jambes. Des arrêts respiratoires. Des iles perdues. Le monde moderne. Faire les courses. De l’or qui tombe du ciel. Des résistants d’autrefois. Du pays. Le mors dans l’âme. Des rapaces. Des beaux discours. De l’humour, que diable ! Des tsunamis. Des volcans éteints. De la lave qui ronronne sous terre. Des dégâts des eaux. Des outils de travail. Des instruments de torture. Des sourires de façade. Le foie d’une oie. Des ventres - vides, ou pleins. Des petits vélos dans la tête. Des silences qui n’en disent pas long. L’ouvrir. De la mécanique des fluides. Des retours de bâtons. Des retours de prodigue. Des petits Liré, ou ailleurs. De la terre pleine de taupes. Des fruits rouges. Des amis qui reviennent. De la bière. Du flambant neuf. Des vieilles fermes dans la neige. De la peau en moins. Des gros rhumes. Des petits cancers. Le droit du travail. Des chemins pavés. Des bonnes intentions. Bien sûr des bonnes intentions. Des vieilles histoires. Des vieux poèmes. Du latin de messe. La crise grecque. Grandeur et décadence. Des grandes maisons. Des petits appartements. Le vent dans le pré. Des chats qu’il faut suivre. Des frileux. Des élections présidentielles. Des entretiens d’embauche. Des juges qui ne jugent pas. Des enfants de pauvres. De la viande qui mitonne. Des culs qui croisent les regards. De l’art et du cochon. Des lions, des agneaux. Des âmes vagues. Du rouge à lèvres sur le miroir. Qu'a-t-elle dit. Des disproportions, des nouveaux théorèmes de Thalès. Des mathématiques bancales. Des perspectives plus ou moins académiques. Des lignes de fuites. Des droites non parallèles qui se coupent en un point et un seul. Des bars avec des télés. L’homme qui marche. Le temps qui ne passe pas. Dix-sept ans. La nuit de Manganelli, plus de lumière. Mon pays en guerre. Blackout. Viande crue. Cendres. L'or. Il se fait tard, de plus en plus tard. Dormir, dormir, dormir. Femme debout II. Or plaqué. Liberté pour mon peuple ! Des haïkus au cœur du réacteur. Des réponses sans questions. Où ont-ils foutu Ben Barka.

     


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