Tu n'auras pas le choix. Tu devras creuser des tranchées, élever des digues, bâtir des remparts écorchés de meurtrières. Tu devras te cloitrer dans ta forteresse, et hurler à la vierge dans la dérisoire chapelle que tu n'auras pas manqué de lui consacrer à une extrémité de toi où tu ne mets d'ordinaire jamais les pieds. Les bras ouverts, un léger sourire aux lèvres, bienveillante elle ne répondra pas à tes cris. Tu construiras l'Afsluitdijk autour de toi, et tu te recroquevilleras tout au fond, dans ton îlot de Marken, chez les fous, sans aucun pont vers le continent. Tu ne risqueras rien ici, la tempête autour ne t'atteindra pas, et bientôt tu vivras bien, l'âme sereine et lisse comme les eaux de l'IJsselmeer. Les audacieux qui s'aventureront jusque là ne resteront pas longtemps. Tu les regarderas de loin. Ils croiront t'avoir exploré, et dresseront des cartes imprécises. Tu envieras leur ignorance, tu aurais aimé toi aussi ne pas savoir qui tu es. Quel est ce diable qui esquive les récifs aiguisés des caps, et se déguise en ange quand au bout du périple il lui faut marcher sur les eaux calmes du lac au fond de toi ? Ne l'écoute pas. L'eau monte, presse-toi. Construis. Bâtis. Ne laisse personne entrer, comment saurais-tu reconnaitre un ange, en as-tu déjà vu ? Sois prudent. Fais des provisions et ferme à clé. Passe-toi du monde, lui ne se rendra compte de rien.

Tu n'auras pas le choix alors si tu commençais, si tu posais les premières pierres ? Si tu commençais dès maintenant à graver le marbre de ton caveau ?

(Ouvre les volets. Dehors les triolets des oiseaux.

Où ça une tempête ? )